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L'artillerie Française en Irak


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Sources : https://mars-attaque.blogspot.com/2018/07/artillerie-francaise-operations-chammal-irak-11-rama.html

 

L’artillerie française - En opérations aujourd’hui, avec le 11è RAMa 1/3

Le colonel Coquet, alors encore chef de corps du 11ème régiment d’Artillerie de Marine (Saint-Aubin-du-Cormier), a récemment présenté l’action menée en Irak par le Groupement Tactique d’Artillerie (GTA) de l’Orient. Composée notamment d’artilleurs de Marine, appelés bigors, cette unité ad hoc d'environ 150 personnes, également connue sous le nom de Task Force Wagram, a appuyé du 7 février au 27 juin 2017 de ses 4 canons automoteurs légers à roues de calibre 155 mm type Caesar la reprise de la partie Ouest de Mossoul. Ces opérations ont été menées en appui des forces partenaires, notamment irakiennes, dans le cadre de l’opération Chammal, volet français d'Inherent Resolve menée en coalition pour défaire l’organisation État Islamique (EI) en Irak et Syrie et favoriser autant que possible les conditions permettant d’accroître la stabilité régionale.

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Ce déploiement du régiment d’artillerie de la 9ème brigade d’Infanterie de Marine (BIMa), rupture dans la continuité de l’approche indirecte qui prévalait jusque-là au Levant, était le 2nd mandat de la TF Wagram, après celui du 68ème régiment d’Artillerie d’Afrique (RAA), débuté en septembre 2016, pour appuyer la reprise de Mossoul-Est. Le 35ème régiment d’Artillerie parachutiste (RAP), le dernier régiment d’artillerie de spécialité "feux dans la profondeur" (FDP) opérant des moyens comme le Caesar (capacités sol-sol donc, et donc non spécialisé en lutte antiaérienne, drones, cartographie, etc.) pas encore passé par l’Irak, est au Levant depuis quelques jours (dans un format un peu différent par rapport au GTA de l’Orient, nous y reviendrons). Il relève le GTA de Marine (TF Wagram mandat 5) autour du 3ème régiment d’Artillerie de Marine (RAMa), qui relevait le 40ème RA de Suippes, GTA Igman, relevant lui-même les artilleurs de montagne du 93ème RAM.

A l’échelle de l’histoire militaire française des 20 dernières années, ce déploiement est assez unique, pour plusieurs raisons. Les moyens artillerie se trouvent déployés dans une unité propre (d’où GTA et non "GTIA à dominante artillerie"), au sein d’une coalition avec des procédures bien spécifiques, au contact de nouvelles manières de procéder ou de manières peu employées jusque-là. Le GTA a opéré de plus avec une intensité rarement vue depuis les opérations dans le Golfe en 1991, le 11ème RAMa y étant également engagé ,au sein de la Division Daguet, et réalisant alors avec 18 canons un nombre quasi similaire de missions par rapport à celles menées en 2017… mais là avec seulement 4 canons. Et cela face à un ennemi décrit comme "disparate, mais complet (avec des vraies capacités de guerre électronique, blindés, moyens NRBC pour du chimique, etc.), cohérent et avec un commandement centralisé. En somme le plus symétrique rencontré depuis longtemps". Par ces caractéristiques, cette opération marque le présent de l’artillerie française et éclaire en partie son futur. Sans revenir point par point (comme cela est fait dans ce dossier particulièrement complet) sur les 5 mois d’un mandat de "haute intensité" (quasi 900 missions de tirs, environ 5.000 obus tirés, seulement 9 journées sans tir sur 107 jours de présence aux postes de combat), quels enseignements en retenir ? En s’appuyant, notamment mais pas seulement, sur ce riche témoignage.


Une mission simple…

La mission, comme décrite au chef de corps par le niveau stratégique, le CPCO, avant son départ était claire : "détruire l’ennemi", en ouvrant la porte à la coalition pour la reprise de l’Ouest de Mossoul, et en assurant la couverture plus à l’Ouest. Après une phase de régénération de 1 mois des forces irakiennes, l’assaut sur cette seconde moitié de la ville était lancé le 19 février, soit tout juste 1 semaine après le changement d’autorité entre le mandat descendant (du 68ème RAA) et le mandat montant. Le plan d’opérations (OPLAN) était défini par les militaires américains, proposé aux irakiens… qui en faisaient ensuite ce qu’ils en voulaient et pouvaient… (devant notamment négocier chaque mouvement avec les échelons subalternes, selon le style de commandement local). Pour les militaires français, il s’agit d’être nuit et jour, 7 jours sur 7, en alerte à 15 minutes. Avec des tirs qui partaient plus généralement en 7-10 minutes en moyenne, une fois les positions de tirs atteintes et la mise en batterie (en moins d’une minute) effectuée.

L’agglomération de Mossoul est relativement comparable à Paris avec 1,8 millions d’habitants, une superficie de 17 km sur 17 km, 200.000 structures au début des opérations, 3.000 km de routes, 60 km² de terrain, le tout valorisé depuis des mois par l’adversaire. Il y est difficile d’y différencier les amis des ennemis, les civils des miliciens, l’adversaire jouant évidemment de cette difficulté. La population de Mossoul, craignant des représailles chiites (notamment des milices situées au voisinage), est présenté comme n’ayant pas la volonté de sortir de la ville, d’autant plus que l’organisation EI menaçait de tirer sur ceux qui tentaient de fuir. En conséquence, un nombre important d’habitants est resté, l’organisation État Islamique n’hésitant pas à les utiliser en boucliers humains, les tassant dans les immeubles, minant les sorties, tirant depuis les toits pour attirer l’attention, en espérant des tirs de riposte de la part des militaires irakiens, qui pour certains arrivaient… 

Selon le patron de la TF, l’organisation EI a montré une forte capacité d’adaptation : efforts sur les limites de fuseaux entre les unités amies, attaques sur les arrières, utilisation des 3 dimensions (dont le sous-sol), ciblage des capacités de commandement adverses et des capacités critiques (tireurs d’élite, démineurs, secouristes, etc.), bascules d’efforts et capacités de manœuvre, innovation avec les drones en essaim (jusqu’à des meutes de 12 appareils d’un coup), capacités artillerie réelles (comme des mortiers et des canons type 122 mm D30 bien servis, notamment par des vétérans du Caucase), etc. Le centre de gravité pour l’EI était clairement l’Iraqi Counter Terrorism Service (ICTS), formé en parallèle notamment par d’autres militaires français, que l’EI souhaitait détruire pour faire stopper l’attaque. Durant le mandat, les pertes irakiennes - tués ou blessés - enregistrées seront de 6.000, notamment du fait d’une faiblesse des forces irakiennes en secourisme de combat. Soit l’équivalent en volume d’une brigade interarmes (BIA) française… La cohésion des forces partenaires (irakiennes et autres) était d’ailleurs définie comme le centre de gravité ami, à préserver.


Selon le chef de corps, la menace cyber contre le GTA n’était pas tant sur le théâtre en lui-même et les moyens de communication amis, non perturbés par des moyens de guerre électronique, que sur l’arrière, avec un ciblage des familles et des proches, et une forte continuité arrière / front. En conséquence, l’accès à Internet a été coupé pendant les 3 premiers mois du mandat, avant qu’une solution, via des systèmes VPN notamment, puisse être mise en place. Comme décrites par d’autres militaires concernés, des mesures de SECOPS (sécurité opérationnelle), plutôt exigeantes, furent également respecter afin de ne pas faciliter l’identification, via, par exemple, une absence d’éléments significatifs sur les photographies diffusées : plaques d’immatriculation des véhicules floutées, calots caractéristiques de bigors non portées, grades de couleurs propres aux Troupes de Marine retirés des treillis, noms de baptême sur les fûts de canons recouverts, silence radio sur les médias sociaux et auprès de la presse, etc. Ainsi, ce ne sont que les photos publiées, vers la fin du mandat (en Mai), par des journalistes américains, de fresques peintes au sein des bases avancées, qui permettront d’identifier le régiment déployé, ainsi que la batterie de tir concernée.

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… tout en exécution… 

Le GTA, autour de la 1ère batterie (Les Pumas), de la batterie de commandement et de logistique et de l’état-major tactique du 11ème RAMA, était placé auprès de la 2nd BCT (Brigade Combat Team) de la 82nd Airborne Division, qui conseille et appuie les unités locales, avec des équipes de conseillers à différents niveaux, jusqu’au niveau brigade, mais aussi avec des moyens organiques (artillerie, génie, renseignement, etc.). Le retour d’expérience par le patron de la 2ème BCT, le colonel Patrick Work, est d’ailleurs riche d’enseignements (passer du "Advise and Assist" au "Advise, Assist, Accompany, Assure, Anticipate & Agility", ou en vidéo). Ainsi, à chaque relance d’offensive, les militaires irakiens ont réclamé des feux massifs de la coalition, entre effets directs mais aussi indirects (en termes de confiance et de forces morales).  

Au début du mandat, le GTA était éclaté en plusieurs sites. Une partie était placée au Nord de Mossoul, à 10 km en retrait de la Kurdish Defense Line (elle-même à 5 km de Mossoul), une butte en terre qui courrait sur plusieurs centaines de kilomètres avec des postes de combat merlonnés quasi tous les 100 mètres. Elle marquait l’avancée maximale des unités kurdes qui avaient ordre de ne pas rentrer ni même s’approcher de la ville. Pour l’autre partie, une autre section de tirs à 2 pièces, au Sud de Mossoul (sur la base Q-West, à Qayyarah, qui avait servi de point d’appui pour les opérations de reprise de l’Est de Mossoul). Rapidement, au bout d’un mois, les opérations (dans la région d’Hawija plus au Sud, le long de l’Euphrate, ou au Nord de cette position vers Mossoul) sont hors de portée des canons de Q-West, et les 2 sections de tir sont rassemblées au Nord de la ville, sur la base FOB Fil Fayl. Ce vaste mouvement de bascule d’effort (qui a nécessité deux convois, 40 containers TC 20, 20 porte-chars, appuyés pour le transbordement des moyens locaux de la société américaine KBR) dans un temps contraint (3 jours jusqu’à Erbil puis vers la positon dite Tactical assembly area (TAA) de Fil Fayl) est permis notamment par la mobilité des canons Caesar sur roues, tandis que le reste du personnel était déplacé par hélicoptères de manœuvre américains type Chinook. 

La batterie de tir étant placée derrière la KDL, il n’y avait que peu de menaces directes durant ce mandat. Ainsi, une seule infiltration commando ennemie est détectée, les Américains s’occupant en grande partie de la protection des approches (en plus d’un élément de défense approchée aussi fourni par la TF Wagram). Les Américains fournissaient également les moyens de lutte anti-drones (LAD) et de contre-batterie (notamment les radars et la partie commandement). Quant aux obus NRBC, ils furent lancés à Mossoul, et non sur les bases extérieures. Mais au cas où, et pour le maintien des compétences révisées lors de la phase de mise en condition avant projection (MCP), de nombreux exercices de lutte anti NRBC furent menés, grâce à une équipe dédiée de reconnaissance et d’évaluation (ERE) et un module de décontamination issus du 2ème régiment de Dragons. 

Forte de 54 hommes, la 1ère batterie s’est articulée pour assurer une permanence des feux 24/7 durant les cinq mois. Un poste de commandement de batterie était chargé du commandement, du suivi logistique, de la liaison avec le commandement américain de la FOB et surtout du calcul des éléments de tir à transmettre aux équipes de pièces. Une section à quatre pièces, un groupe de munitions et une équipe de défense rapprochée était en alerte en permanence. Le GTA disposait de moyens en propre, pour la communication (intra-théâtre et vers Paris, via liaisons satellitaires) avec des radios, des satellitaires et des informaticiens, moyens santé, NRBC, etc. via un détachement de soutien adapté (DETSOUT) au plus près (provenant de 11 régiments différents : mécaniciens, transmetteurs, munitionnaires, électriciens, NRBC, etc.), au sein d’un élément de soutien national (ESN) plus large, qui faisait aussi TC2 (Train de Combat n°2) pour la logistique (un convoi par semaine) depuis Erbil. L’aéroport de cette ville était la portée d’entrée logistique du théâtre, avec une capacité de réception théorique moyenne de 800 obus par jour, via Antonov 124 qui effectuait des rotations à intervalles réguliers. Le patron de l’ESN était en charge de toute la manœuvre logistique, et participant à la préparation de la manœuvre future (notamment les mouvements ou prévoir les consommations de munitions… pas moins de 10 semaines à l’avance). Le poste de commandement avancé américain (dit CJOC-E pour Combined Joint Operations Center - Erbil), de la Task Force Falcon, était situé également à Erbil (là où était situé le patron du GTA). Comme lien de commandement, il avait le TACON (Tactical Control) sur la TF Wagram (donc l’obligation de les insérer dans leurs convois, de leur assurer le même niveau de protection que les éléments américains, etc.). Enfin le niveau de la division était à Bagdad. Des officiers de liaison étaient à différents niveaux pour faciliter la coordination et la remontée d’informations.

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Des procédés conformes, mais rarement utilisés jusque là 

Au sein de l’opération Eagle Strike de reprise de Mossoul, le mandat se déroulera en 4 phases, le 1er temps ayant lieu du 19 février au 9 mars, avec le lancement de l’offensive sur la partie Ouest, et une préparation d’artillerie massive (1 roquette des M142 High Mobility Artillery Rocket System (HIMARS) tous les 10 mètres sur les postes de commandement de l’EI autour de l’aéroport, ou 43 obus tirés par les Caesar situés au Sud en une nuit). Puis des actions d’appui au contact (obus fumigènes ou éclairants, manœuvres d’interdiction, réduction de résistance isolée ou RRI, etc.), et d’action dans la profondeur (destruction de points d’appui, etc.). Les moyens placés au Nord appuient alors l’action de la 9ème division blindée irakienne, notamment face à un ennemi en défensive où les Français, avec la portée de leurs canons (de 10 à 20 km plus importante que les obusiers tractés M777 américains), sont les seuls à être à portée de tir. Il s’agit de gêner les mouvements de l’ennemi et les tentatives de franchissement du Tigre, ou des missions d’interdiction et de destruction contre des positions. 

Pour se faire, le GTA a à disposition en permanence un drone américain dans la zone située au Nord-Ouest de la ville. Les tirs conduiront à la destruction d’une katiba (compagnie) ennemie d’une centaine de combattants (et la destruction d’un canon D30 de 122 mm dans les premiers jours, via 24 obus envoyés sur sa position). En plus du drone (généralement un MALE armé de l’USAF ou des forces spéciales), la remontée d’informations se fait aussi par les équipes d’observateurs des forces spéciales (non françaises, ces dernières n’étant pas dans ce coin-là), belges, canadiennes ou encore finlandaises. Dès les premiers jours, une complémentarité forte entre drones et artillerie est observée, nous y reviendrons. Il s’agit alors de fermer la poche de Badush, et reprendre cette localité à l’Ouest de Mossoul pour empêcher l’arrivée de renforts en provenance de la région de l’Anbar, encore tenue par l’EI, voir même de Syrie. Cette phase fût l’occasion de mettre en œuvre des tirs, bien que conformes aux manuels, particulièrement rares : tenir une barrière de fumigènes de 1,5 km de long pendant 45 minutes pour protéger des forces irakiennes en mouvement. Ou des tirs à effet surfacique demandés sur un champ de mines supposé pour déminer par l’effet de souffle. Comme reconnu par le chef de corps, "Je ne sais pas si cela a fonctionné, bien qu’il n’y ai pas eu de pertes après coup, mais cela a eu des effets indirects, sur le moral, indéniables, en jouant dans le champs des perceptions, et les militaires irakiens ont traversé". 

La phase 2 est celle du regroupement des moyens français et du bouclage final, du 10 au 27 mars, avec l’artillerie utilisée pour disloquer les contre-attaques venues de l’Ouest, avec parfois des "faux feux" de préparation d’artillerie pour tromper l’adversaire sur les intentions. C’est au cours de cette phase, et malgré une mauvaise météo (qui d’ailleurs limitait l’appui aérien à la fois en drones et en avions), que le tir plus important du mandat fût réalisé le 13 mars, avec 2 salves à 72 obus (dans une journée à 7 missions d’appui et 160 obus tirés) pendant que les militaires irakiens montaient à l’assaut. Une grande partie des appuis fournis durant cette phase a alors visé l’arrière des défenses de l’adversaire, afin de désorganiser ses unités, sa logistique et ses communications. Les combats en terrain ouvert pour la prise du verrou dans le secteur de Badush sont l’ultime étape de la fermeture de la poche de Mossoul. 

La phase 3 est celle du grignotage, du 28 mars au 29 avril, après que le Génie américain et irakien aient levée des merlons sur plus de 10 km, pour terminer le bouclage. Le combat devient de plus en plus urbain, une fois les approches reprises. Le combat en zone urbaine, qui ne concerne pas en 1er chef la TF Wagram (nous y reviendrons), est alors particulièrement exigeant, notamment face à l’emploi particulièrement efficace des VBIED, les véhicules piégés qui, du fait d’une difficulté à respecter les distances de sécurité entre véhicules dans les rues enchevêtrés permettent une maximisation des dégâts. Les chars irakiens étant ici les moyens les plus efficaces contre ces VBIED, plus que les missiles anti-char qui obligent les tireurs à se mettre à découvert. L’artillerie américaine est alors parfois utilisée en contre-mobilité, avec des cratères faits sur les axes pour empêcher la circulation de VBIED, notamment à la tombée de la nuit. Ils sont rebouchés, soit par l’adversaire durant la nuit soit par les forces amies au petit matin pour ensuite reprendre la progression. Au cours de cette période, des embuscades d’artillerie sont montées conjointement, avec des tirs d’obus fumigènes à proximité de villages pour faire croire à des débouchés amis, qui conduisent l’artillerie adverse à se découvrir et à réaliser des tirs de riposte généralement pré-programmés, permettant leur détection et donc des tirs de contre-batterie (permise par un C2 américain performant, des radars type Q53A analogues aux Cobra français, et des systèmes HIMARS ultra précis en réactif, les équivalents du LRU du 1er régiment d’Artillerie français, mais montés sur châssis de camion). 

Le dernier temps, du 30 avril au 2 juillet, est celui de la protection du dispositif irakien, avec du côté de Badush, une 3ème katiba ennemie détruite, en plus de l’appui réalisé pour le débouché du CTS pour l’ouverture d’un 3ème front au Nord-Ouest de la ville alors que la situation est bloquée, et qu’il fallait soulager l’effort principal plus au Sud. Après avoir soutenu la 9ème division blindée irakienne, dorénavant engagé dans le centre de Mossoul, le GTA soutient la 15ème division irakienne.

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Le tout au sein d’une coalition…

L’artillerie française fournissait à ce moment 40% des canons engagés dans les opérations par la coalition, le reste était américain, autour notamment du 2nd bataillon du 319th Airborne Field Artillery Regiment(rattaché à la 82nd Airborne Division) de la TF Black Falcon, ou encore du 2-82 Field Artillery, 3rd Brigade, 1st Cavalry Division et du 4th Battalion, 1st Field Artillery Regiment de la 1st Armored Division pour les HIMARS et les obusiers blindés type M109A6 Paladin. Un officier de liaison était placé au poste de commandement de la TF Falcon (camp Swift à Erbil), afin de "conseiller le Fire Support Officer et le chef de corps de la TF Falcon en leur proposant le meilleur emploi possible des canons Caesar" (en fonction des capacités du canon Caesar, de leur emplacement géographique et de l’effet souhaité sur le terrain). Cela permet de les intégrer dans la manœuvre d’ensemble des feux, généralement proposée par les forces armées irakiennes, en anticipation, mais également en réaction (avec désignation par les forces de la coalition ou les forces irakiennes).

Ayant le contrôle national des feux, le patron de la TF Wagram avait une délégation de tirs de la part du niveau stratégique pour gérer les demandes à son niveau, conseillé par un legal advisor (LEGAD). En cas de doutes, ou lors d’un certain niveau de risques (manque de renseignements, présence éventuelle ou proximité de civils ou de forces amies, etc.), le niveau stratégique, le CPCO, jugé par le chef de corps comme très réactif, devait donner son avis. Cela a été demandé 12 fois durant le mandat de 5 mois, avec très rarement des retours négatifs, le niveau du théâtre triant déjà les demandes possibles et non possibles (en étant "red card holder" pour refuser un tir), via une approche présentée comme finalement très scientifique et rationnelle, à base de check-list, de calques apposés sur des cartes et de règles de calculs : s’assurer de l’identification positive de la cible, de son caractère militaire (combattants ou matériels liés), du respect du droit international et du droit des conflits armés (aucun dommage collatéral ne peut avoir lieu vis-à-vis de la population ou de certaines infrastructures), de la validation des forces irakiennes, et de la déconfliction avec les autres moyens (notamment les avions et les drones opérant dans la zone), etc.  Le système ATLAS de gestion et de transmission des informations permettant ensuite de réaliser les calculs des éléments de tirs au niveau de la batterie sur les postes avancés : coordonnées, nombre d’obus, types d’obus, réglages des charges, etc. Théoriquement, les artilleurs parlent un langage commun à travers des réseaux digitaux de soutien d’artillerie (fire support digital networks) pour maximiser les "calls for fire" (CFF).  

Théoriquement, les réseaux sont compatibles, entre l’Atlas français et les systèmes américains de type Advanced Field Artillery Tactical Data System (AFATDS), dont seulement la version la plus récente permet de communiquer avec ATLAS (en mode LAN plus robuste). D’autant plus que, les Français n’ayant pas la même palette d’obus par rapport aux Américains, les demandes de tirs, notamment dès lors qu’il s’agit d’atteindre une précision permise par certains obus type Excalibur (nous y reviendrons), ne peuvent pas être échangées complètement automatiquement. Des limites soulevées lors d’exercices communs préalables(Exercice Colibri 2016 entre la 11ème BP française et la 173ème Airborne bBigade américaine, ou Summer Tempest 2016 en Sardaigne).  

Malgré l’observation quasi permanente de drones (modulo les conditions météorologiques) ou les lignes de coordination préétablies avec les forces irakiennes au sol, la prudence est de mise dans le déclenchement des tirs. Ainsi, un tir a été stoppé au tout dernier moment contre une section irakienne en pointe qui avait dépassé ses objectifs sans remonter l’information (ne disposant pas de système de suivi de type Blue Force Tracking). A l’inverse, alors que les militaires irakiens n’hésitaient pas à demander des tirs surdimensionnés ("ils défouraillent", diront plusieurs acteurs interrogés), les militaires français n’ont pas hésité à ajuster les demandes. Lors d’une prise à partie en provenance d’un village proche de Badush, les militaires irakiens ont demandé un tir surfacique sur l’ensemble du village (vidé de sa population) d’une cinquantaine d’habitations. Le tir effectué par les militaires français visera finalement, après observation, 3 habitations d’où provenaient une menace pour le coup bien caractérisée.

A suivre…

 

Modifié par christo1
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Sources : http://mars-attaque.blogspot.com/2018/07/artillerie-francaise-wagram-task-force-rama-irak-soutex-mossoul.html

 

L’artillerie française - "Aux résultats !" en Irak 2/3

Après avoir présenté le cadre général du mandat du 11ème régiment d’Artillerie de Marine (RAMa) de février à juin 2017 en appui de la reprise de l’Ouest de Mossoul, quel bilan ? Que retenir ? Et quelles évolutions depuis ?
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"Le feu (indirect) tue"
 

Au cours de son mandat de 5 mois, le Groupement Tactique d'Artillerie (GTA) de l’Orient a conduit pas moins de 889 missions de feu avec ses 4 canons Caesar, soit une activité intense comparée au mandat précédent, et au début du suivant (cf. le schéma ici). Sans, pour rappel, tirer un seul obus dans Mossoul même, mais seulement en périphérie. Nous y reviendrons. Il ne peut être strictement discriminé entre actions des artilleurs américains et artilleurs français, mais 29% des feux de la coalition sur la période considérée (février à juin 2017) ont été réalisés par l’artillerie (dont 11,5% par les M142 HIMARS américains, capacités d’appui-feu de niveau division), le reste l'étant par les drones et l’aviation, dont notamment 4% en Close Combat Attack (CCA) par des hélicoptères américains AH-64 Apache particulièrement appréciés pour des tirs au plus près des forces amies avec leurs roquettes de 70 mm et leurs missiles Hellfire précis. Plus que les chiffres bruts ou la répartition, il s’agit, selon les militaires concernés, de relever l’importance des feux combinés, notamment quand des munitions aériennes visaient des structures (avec des effets plus puissants que l’artillerie), et que l’artillerie ensuite permettait de traiter avec précision les objectifs alors mis à portée (personnels, armements, infrastructures, etc.). Ou que l’artillerie ne subissait que peu les aléas météorologiques (d’où l’importance de la récente station météo type SEPHIRA), parfois compliqués durant le mandat (tempêtes de sable notamment) assurant la permanence des feux alors que la couverture aérienne était contrainte par le plafond nuageux. De leur côté, au rang des avantages comparés, les tirs depuis des appareils en vol peuvent permettre de gagner du temps, lorsque les appareils sont bien positionnés, ou qu’ils ont la possibilité de rapidement se rapprocher des cibles, fugaces, pour réduire la distance de la trajectoire de la munition tirée, ou qu’ils peuvent rapidement se repositionner et atteindre des nouvelles zones déconflictées (Restricted Operating Zone).

Ce mandat du GTA de l'Orient a permis de fortement rappeler (en interarmes comme en interarmées) que, conformément à la mission demandée décrite précédemment ("détruire l'ennemi"), "le feu indirect tue". Pour ce qu’il est possible de dévoiler, des bilans indéniables ont été atteints, faisant du 11è RAMa : "le régiment le plus l’étal de l’armée de Terre en 2017". Ainsi, avec certitude (et comme peuvent l’illustrer les raisons de l’attribution de la Croix de la Valeur militaire de ce bigor du 11è RAMa), ce n’est pas moins de 3 katibas ennemies (niveau compagnie) qui ont été détruites, 1 canon de 23 mm, 1 obusier D-30 de 122 mm, 8 mortiers lourds et moyens, 7 pick-up, et même, en sol-mer, 3 embarcations (certaines étant détruites en mouvement, justifiant presque la dénomination d’Artillerie de Marine du régiment…). 

Plus globalement, et conformément à l’adage, "le 1er ennemi de l’artilleur, c’est l’artilleur ennemi", pour la partie Ouest de Mossoul, la coalition a dû mettre en œuvre une manœuvre des feux pour gagner la supériorité des feux, notamment via des cellules intégrées de renseignement orientées sur la destruction des moyens de l’artillerie adverse (tubes, stocks, postes de commandement, etc.), des feux anticipés sur les zones de passage de l'adversaire, des répétitions, ou rehearsals, pour les plans de feux lors des plus importantes phases tactiques, des embuscades de feux pour forcer l'adversaire à se dévoiler, etc. En effet, l’organisation EI était en mesure au début de la bataille de réaliser jusqu’à 200 tirs indirects par jour au plus fort des opérations. 50% des tirs de l’artillerie américaine sur la période furent donc tirés contre les artilleurs adverses, pour obtenir au bout de 3 mois une supériorité des feux non remise en cause. En effet, si l’adversaire réalisait des tirs considérés comme généralement artisanaux pour la précision, cela se faisait à l’échelle industrielle.
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Pour le GTA de l'Orient, la majorité des tirs (environ 2/3) furent réalisés de nuit, nécessitant un entraînement particulier pour les hommes, pour tenir dans la durée. Toute la palette des effets des tirs fut mise en œuvre : neutralisation, aveuglement, destruction, ou éclairement. Avec des effets calculés à chaque fois au plus juste, comme par exemple lors de la demande décrite ici : "Le 4 juin, lors d’une demande d’appui formulée par une unité irakienne harcelée par un mortier, les officiers en charge de la vérification des tirs demandés ont opté, en concertation avec le commandant d’unité responsable du contrôle national, pour des tirs de semonce plutôt qu’un tir de destruction sur une pièce d’artillerie en raison de la présence de la population civile non loin du mortier visé. Sur le terrain, la solution a permis de faire cesser les tirs qui menaçaient les troupes irakiennes tout en protégeant les populations qui auraient pu être touchées par un tir à détruire". Les obus de semonce ont offert des compromis intéressants pour effectuer une démonstration, soit en tirant sur des objectifs vides (situés à proximité des cibles réelles potentielles), notamment pour provoquer l’ennemi, soit en obtenant des effets à létalité réduite. Le GTA de l'Orient a tiré 60% d’obus explosifs, 27% d’éclairants, 13% de fumigènes et 2% d’obus de semonce. Et cela souvent à longue portée (au-delà de 25 km), nécessitant l’emploi de fortes charges (nous reviendrons sur cette question pour les conséquences sur l'usure des tubes) et de kits RTC (réduction de traînée de culot) sur les obus pour gagner en allonge.

Ce furent au total 189 tonnes de munitions transbordées manuellement, avec des obus pesant en moyenne 43 kg chacun. Quand il faut envoyer une salve de 72 obus via 3 systèmes Caesar en 3-4 minutes (avec une cadence de tirs à 6 obus / minute), cela demande de  "taper dans le cardio", comme se souviennent des artilleurs déployés. Surtout lorsque les canons Caesar ont une capacité d’emport vite atteinte (avec 18 casiers, mais en réalité 17 pour les obus et 1 pour un thermomètre pour vérifier la température des obus). Ainsi, pour de telles salves, il est nécessaire de recharger en cours de séquence de tirs et donc de faire la navette entre les pièces et, à l'écart pour des questions de sécurité, les camions d’accompagnement : des porteurs polyvalents terrestres logistiques avec des dispositifs de protection, dit PPL LOG DP, développés sur la base de camions Iveco, et fournis par l'arme du Train (l'artillerie n'ayant au quartier que des versions sans dispositifs de protection, non déployés du fait des niveaux de protection requis lors des convois logistiques). D’où rapidement, l’achat de ceintures lombaires pour protéger les dos des hommes, ainsi que des voiturettes robustes type "golfette" pour faire plus facilement les allers-retours. Ainsi, en 1 heure, 1 servant peut charger jusqu’à 1,2 tonnes. D’où une nécessaire endurance des équipes : "L’intensité de l’engagement justifiait pleinement les séances de CrossFit réalisées par les servants et munitionnaires en amont du déploiement !", et pendant le déploiement.
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(Fortes) impressions

En opérations au contact des alliés et des partenaires, l’artillerie française a été au cœur de toutes les attentions. Via de nombreuses visites d’autorités et démonstrations, l’ensemble de la chaîne de tir de l’artillerie française a été présentée et jaugée, de l’armée régulière irakienne aux unités américaines, en passant par les autres alliés de la coalition. D'abord, il y a eu les résultats opérationnels qui ne trompent pas (avec aujourd'hui quasi 1.900 missions de tirs menées par les canons français). La remise de décorations américaines, à plusieurs artilleurs de Marine, viendront souligner ce degré de satisfaction : Army Commendation Medal ou Army Achievement Medal, notamment. 
 

Le général commandant la 36ème brigade blindée de la 9ème division blindée irakienne (unité appuyée pour la fermeture de la poche de Mossoul) a transmis en remerciement aux artilleurs français le trépied d’une mitrailleuse lourde criblé d’éclats d’obus français. Le GTA de l'Orient et les autres mandats ont reçu de nombreuses visites d’officiers irakiens qui avaient déjà l’expérience de l’armement français puisqu’ils en étaient partiellement équipés lors de guerre Iran-Irak (automoteurs AMX AuF1, par exemple). Les militaires américains ont noté de leurs côtés les capacités offertes par le Caesar, et le compromis qui a conduit au système : à la fois la cadence de tirs permise par le chargement semi-automatique (quand les artilleurs américains doivent charger à la main les canons M777), la mobilité (notamment lorsqu’il fallait mener avec des éléments de protection et de génie américains des raids d’artillerie notamment de nuit en bougeant les canons pour les mettre dans de meilleures positions ou à portée des objectifs adverses), la simplicité  (équipes de pièces réduites à 4 ou 5, quand le M109 nécessite des équipages à 6, et au minimum à 5 pour le M777, voir plus pour tenir la cadence), la relative protection (avec l'adjonction des kits de sur-blindage sur la cabine), ainsi que la portée (supérieure d’une dizaine de kilomètres par rapport à celle des M109 qui est autour de 24-25 km, et encore plus par rapport à celle des M777). Alors même que l'US Army ou le Corps des Marines ont raté le tournant du passage du 155 mm de 39 calibres à 52 calibres. Sur l'avant-dernier mandat de la TF Wagram (avec le 40ème régiment d'Artillerie dans la zone d'Al Qaim face aux dernières poches de résistance constituées), sans aller jusqu'à la portée maximale autour de 38 km, plusieurs tirs ont atteint 34km, la majorité des tirs se situant entre 15 et 25 km, une portée qui surpasse bien souvent les capacités américaines dans le domaine des tirs indirects de l’artillerie.
 

Et cela, d'autant plus que les Caesar ont eu une disponibilité technique opérationnelle (DTO) proche de 100% durant le mandat du GTA de l'Orient, avec un énorme travail de nuit et de jour des éléments de soutien (DETSOUT). Le tout dans l’environnement rude de la plaine de Ninive : de -10°C durant les nuits de février à +50°C au mois de juin. Un élément léger d’intervention armement gros calibre (ELI AGC), détaché de la batterie de commandement et de logistique (BCL) du 11è RAMa, était en alerte, vivant au rythme de la section de tir pour pouvoir réagir en cas d’incident. Le haut niveau de dépôt de cuivre et l’encrassement des tubes observés étaient dus à l'utilisation d’anciennes munitions de 39 calibres (compatibles avec le Caesar), tirées pour finir les stocks, mais qui nécessitaient un important travail de remise en condition après les séquences de tirs. 

Ce qui a été surtout noté, ce fût la bonne tenue de l’intégralité de la chaîne de tir française, avec peu de restrictions : respecter les règles de contrôle national, et être force de proposition pour trouver des solutions et traiter les objectifs (transmission de données, calcul des éléments de tirs, tirs en cible, réactivité, etc.). Au bout d’une semaine d’arrivée du GTA de l’Orient sur la zone, les premiers obus explosifs sont tirés, en cible, permettant de gagner la confiance des autorités hiérarchiques américaines, qui remettent, comme pour les unités américaines d’ailleurs, les compteurs à zéro (par rapport au mandat précédent, celui du 68ème régiment d’Artillerie d’Afrique), et jaugent la qualité des unités mises à disposition. Lors du mandat d'octobre 2017 et février 2018, pour le GTA Igman (autour du 40ème régiment d’Artillerie), moins de 10% des missions de feu réalisées (sur 91 au total) nécessiteront une correction de tir. Cette intégration au sein de la coalition est chaque fois à gagner, et très rapidement ce fût le cas, conduisant à une intégration avancée, au-delà de la colocalisation de tous les décideurs de la chaîne artillerie alliée. Néanmoins, par exemple, les militaires français ne sont pas dans les "Five Eyes" (cercle restreint pour le partage du renseignement : Australie, Canada, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni et Etats-Unis). Ils n'ont donc pas accès à certaines réunions de planification ou à certains tchats (et cela oblige à des transferts, chronophages, de documents via clés USB, entre des réseaux de niveaux de classification différents). Selon plusieurs militaires, les plus embêtés sont les militaires américains, qui utilisent l’expression "Fucking Five Eyes" pour montrer leur agacement. Il est donc utilisé de plus en plus un niveau de classification ad hoc : "5 Eyes + France".
 

Il s’agissait alors d’attaquer "by, with and through" les forces de sécurité irakiennes, en s’adaptant avec agilité et sur court pré-avis, comme pour certaines bascules d'efforts (racontées dans un retour d’expérience américain consacré à l’artillerie, pages 36 et suivantes). Dans cet environnement opérationnel, le rôle de la Strike Cell basée à Erbil durant le mandat du GTA de l’Orient est jugé comme particulièrement essentiel pour la bonne complémentarité avec les autres moyens employés, en favorisant l’intégration des moyens de tirs et d’observation. Le patron du GTA y était dans un environnement interarmées de commandement et de contrôle regroupant : artillerie, renseignement, hélicoptères, gestion 3D, appui aérien, etc. Tous sur les mêmes réseaux, avec pas moins de 17 écrans TV présents dans le PC (recopies images des drones en permanence, avions, observateurs, situation tactique, etc.). 90% des tirs effectués furent faits sous l’observation de drones américains, avec à chaque tir, une check list à dérouler en moins de 10 minutes pour arriver ou non à l'autorisation de tir. Néanmoins, en cas d’absence de drone, comme pour les salves à 72 obus déjà narrées, elles se sont faites suite à l’envoi de coordonnées par un observateur avancé irakien. Il a donc fallu l'accord du niveau stratégique français, le CPCO, qui l'a accordé, un des critères étant que l'observateur en question avait été préalablement formé par les forces spéciales américaines, "à un certain standard". Il fallait également se faire confiance entre alliés, certaines capacités étant non prises en compte par les militaires français, comme la contre-batterie assurée via des radars Q50 et les nouveaux AN/TPQ53, similaires aux radars Cobra français, ou les radars Sentinel et les moyens type LPWS (Land-Based Phalanx Weapon) pour la défense type C-RAM (Counter-Rocket, Artillery, and Mortar). Une des exigences du CPCO, qui agissait surtout en planification (avec obligation de faire valider en conseil de défense restreint l'autorisation pour que les canons français changent de positions entre les bases...) plus qu'en conduite, était que les militaires français insérés aient le même niveau de protection que les artilleurs américains. Ce qui a été fait à l'époque avec des unités de l'US Arm, et s'est poursuivi avec des unités de Marines auprès desquels les TF Wagram successives furent insérées, au sein de la Task Force Lion à partir d'octobre 2017 pour les opérations dans la MERV (acronyme pour Middle Euphrates River Valley) de la province d'Al Anbar.
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Formation, conseil... et SOUTEX amont

Le GTA autour du 35ème RAP (régiment d'Artillerie parachutiste de Tarbes), nouvellement arrivé au Levant, est déployé durant le 2ème quadritrimestre 2018 dans un format un peu diffèrent des autres unités jusque-là, reposant sur une centaine d'artilleurs. Il est le 6ème régiment d'Artillerie équipé de Caesar déployé, le dernier a ne pas l'avoir été jusque là. Il y a d’abord la réduction du nombre de Caesar : passage de 4 Caesar - sans compter les 1 à 2 systèmes qui étaient déployés en remplacement et stockés sur le théâtre (en spares) - à 3 pièces, et potentiellement 2 pièces relativement prochainement, selon l’évolution de la situation dans la vallée de l’Euphrate (opération Round Up). La TF Wagram est maintenant composée d’un état-major tactique (situé non plus à Erbil mais sur la base aérienne d'Al Asad pour le Combined Joint Operations Center), d’une section de tir à 3 pièces, des éléments de soutien et d’un détachement d’assistance militaire opérationnelle (AMO) artillerie en charge de participer à la formation des artilleurs des divisions de l’armée irakienne régulière. Cela vient marquer la poursuite de l’effort d’AMO menée jusque-là, prenant en compte : la quasi fin des opérations de reconquête du territoire irakien face à l’organisation EI (avec les dernières poches de résistance situées de l’autre côté de la frontière irako-syrienne, traitées sans passer de l’autre côté de la frontière irako-syrienne, notamment grâce à l’allonge des Caesar), et la nécessaire poursuite en parallèle de la montée en puissance des forces irakiennes. Cet effort s’inscrit dans le cadre de l’offre française sur le continuum de la diplomatie de défense : de la formation au conseil, en passant par l’assistance au combat, la fourniture de matériels, etc.
 

Il s’agit de remettre sur pied un système autonome de formation, en formant en priorité les formateurs (développer le savoir-faire-faire) qui pourront à leur tour former leurs compatriotes. Depuis que le rythme des opérations s’est réduit, les unités françaises en charge de ce volet formation, notamment la Task Force Monsabert auprès de la 6ème division irakienne, à l’ouest de Bagdad, peuvent se concentrer sur les écoles de formation, notamment dans 2 domaines où les militaires français offrent une plus-value : le déminage et l’artillerie. Cela passe par l’envoi d’artilleurs dans les écoles pour organiser des formations, des campagnes de tirs pratiques, des sessions de conseils, etc. Cette TF Monsabert qui compte environ 60 militaires a en effet une double mission : conseiller et appuyer l’état-major de la 6e division qui est chargée de la sécurisation de l’ouest du Grand Bagdad, et former les unités de la 6e division en topographie (principalement au profit des unités d'artillerie), en combat en localité et en maintenance et emploi des armes et des canons. Ainsi, par exemple, fin avril 2018, venant couronner 3 semaines de formation, les artilleurs irakiens du 106e bataillon d'artillerie, appartenant à la 6e division irakienne, ont mené une campagne de tir au canon de 155mm de type M198 sur le camp de Besmayah, en liaison avec des artilleurs français mais aussi des formateurs espagnols de la Légion espagnole. Il s’agissait de se réapproprier certains savoir-faire. Le tout en présence de hautes autorités militaires irakiennes (commandant du centre opérationnel du Grand Bagdad, patron de la 6ème division, directeur des écoles de formation, etc.). En mars, il en avait été de même avec un autre bataillon d’artillerie (le 107ème à Al-Asad Air Base) sur les compétences en tirs de barrage. Ou encore, via des équipes d'instruction mobiles, auprès de la 7ème division irakienne, avec des d’instructeurs norvégiens de la Norwegian Task Unit, chargés de la mission "Advise, Assist & Enable" (A2E) au profit de la 7e division. En parallèle, un séminaire de haut niveau a été organisé en avril sur l’avenir de l’artillerie irakienne, présidé par le général commandant l’école d’artillerie. Des missions de conseil sur la réorganisation de l’artillerie sont également menées, à la demande des militaires irakiens, entre régénération et préparation aux opérations les plus probables. Des partenariats devant déboucher à terme sur la formation d’officiers et de sous-officiers.

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Cette diplomatie militaire au contact des élites, militaires mais aussi politiques, permet de développer en amont son influence future sur différents points de vue, notamment sur les éventuels choix capacitaires. Ainsi, les échanges entre les forces étrangères et françaises conduisent à développer une culture opérationnelle partagée par la promotion d’un modèle de défense et l’application de normes communes (techniques, opérationnelles, etc.). Les industriels français peuvent bénéficier de ces connaissances, de ces choix et de ce capital sympathie des habitudes. Cela peut parfois faciliter, sans aucun lien d'automaticité, l’obtention de contrats dans un environnement marqué par la multiplication des concurrents. Ce SOUTEX (soutien à l’export) ciblé vise à soutenir notamment une capacité dite "combat proven", qui a fait ses preuves en opérations, après les acquisitions, pour ce qui concerne le système utilisé (et qui pourrait ne pas être le plus à même de répondre aux besoins, l'offre étant large), "par les armées françaises, danoises, indonésiennes, thaïes, ainsi que d’un pays du Moyen Orient" (l'Arabie Saoudite). Cela se voit également par la présence de certains industriels lors de salons professionnels, comme le salon IQDEX qui a pour objectif de répondre aux demandes spécifiques du gouvernement irakien. Dans ce cadre, la France avait pour la première fois mis en place en 2018 un pavillon à Bagdad, lui permettant de promouvoir le savoir-faire industriel français dans le domaine de la sécurité, notamment avec des industriels comme Nexter, Rivolier, Azur Drone, Thales, etc. L'ambassade indiquant que "La stabilisation de l’Irak passant certes par la reconstruction des esprits mais également par la consolidation de son cadre sécuritaire".

Cela s’inscrit dans la continuité des actions de SOUTEX menées (notamment pour le Caesar dans le Nord de l’Europe, au Danemark, ou encore au Royaume-Uni ou en Inde). Plus globalement pour l’armée de Terre, et comme décrit par l'officier général chargé des relations internationales à l'état-major de l'armée de Terre, "la participation au SOUTEX se concrétise par l’organisation de démonstrations de matériel, la réalisation de formations tactiques et d’interventions d’autorités ou d’experts. En effet, sollicitée par les industriels, l’armée de Terre est la seule à pouvoir, de façon crédible, assurer la promotion d'un équipement éprouvé au combat auprès d'armées étrangères. Ainsi, chaque année, 70 missions SOUTEX sont réalisées, qui mobilisent des effectifs pouvant atteindre le volume d’une compagnie et des autorités jusqu’au grade de général". Une action, loin d'être principale pour les armées évidemment, au cœur d'actuelles réflexions sur la question du retour sur investissement pour les armées (débat non lié néanmoins à cet exemple précis). Notamment financiers, pour le remboursement sec des coûts des prestations, mais également dans le cadre des relations industries-armées, en termes de garantie du respect des priorités, en cas de contrats export obtenus qui ne doivent pas remettre en cause, malgré les éventuels volumes, les engagements pris vis à vis des armées françaises. Ou lors des négociations sur les programmes nationaux futurs, pour mieux prendre en compte les perspectives d'exportation : "C’est pourquoi je souhaite que nos programmes nationaux prennent mieux en compte, dès leur commencement, les perspectives d’exportation. Mais en contrepartie, il n’est pas normal que l’Etat ne bénéficie pas de prix plus avantageux, lorsque les hypothèses d’exportation deviennent réalité", indiquait récemment la ministre des Armées.
 

A suivre...

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Sources : https://mars-attaque.blogspot.com/2018/07/lartillerie-francaise-quelques.html

 

L'artillerie française - (Quelques possibles) tendances pour demain en opérations 3/3

Qu'est-il possible de retenir des récentes opérations, notamment au Levant (cf. partie 1 et 2), pour l’artillerie française en termes capacitaires ? Qu’envisager comme réponses possibles aux probables opérations futures ? Une liste, forcément non exhaustive évidemment, de quelques enjeux parmi d'autres, pour le court et le moyen terme, peut ainsi être dressée.

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Un besoin en artillerie non démenti. Les bilans et modes d'actions développés précédemment l’illustrent : le feu indirect (et parfois direct) de l’artillerie offre une large palette d’effets cinétiques, mais aussi non-cinétiques, dans l’environnement opérationnel actuel (en contre-insurrection comme lors d'affrontements plus symétriques), permettant d’apporter des réponses pertinentes à des besoins opérationnels : frapper fort, ou non, à temps, de manière dynamique, dans la durée, en s'adaptant aux modes d'actions adverses changeants, etc. Ainsi, les choix technologiques déjà faits dans le cadre du programme Scorpion de modernisation de l’armée de Terre, notamment pour le segment médian, conduisent à de vraies questions sur la future possible place de l’artillerie. En effet, le choix de certains calibres par d’autres armes, comme l’Arme Blindée Cavalerie, et la transition à venir du 90mm et du 105mm des canons des chars ERC-90 et AMX-10 RC au 40mm des tourelles CTA des futurs engins blindés de reconnaissance et de combat (EBRC) Jaguar, laisse en suspens certaines questions, notamment du fait des performances anticipées pour certains calibres, et des défis technologiques encore à relever à court terme pour atteindre les performances annoncées. Et cela, sans laisser de trous dans la palette des options. C’est le cas, par exemple, de la qualification, pas simple à atteindre selon certains (mais en cours), de modes "air-bust" (à programmation de détonation) de certaines munitions de 40mm. Autre défi, plus structurel, la fin d’un relatif "confort opératif" pour les armées françaises et la relativisation de la supériorité des autres composantes des forces (notamment aériennes) dans leurs espaces communs respectifs. Du fait notamment de la diffusion de technologies dites "nivellantes" et de la montée en gamme des adversaires probables. Cela contraint les avantages de ces autres composantes, et leurs capacités d’appui aux forces terrestres (comme forces "demandeuses"), et cela oblige à penser à faire sans, ou du moins autrement.  Par exemple, c’est le cas pour l’importance probable à l'avenir des capacités d’appui-feu organiques, pour pallier l’éventuelle absence d’appui aérien, notamment pour les feux dans la profondeur (avec des capacités variées à maintenir, "surfaciques", saturantes, d’extrême précision, etc.). En cela, les 13 systèmes LRU actuellement détenus peuvent paraître des échantillons de capacités, détenues, c'est déjà cela. En attendant également des roquettes, conservant la même précision, mais ayant une plus grande allonge via de nouveaux propulseurs (au-delà des 80km actuels, et jusqu’à 100 / 150km), et le développement parallèle, toujours à titre d'exemple, de raids d’artillerie longue distance via l'emploi d'appareils de transport stratégique A400M, qualifiés et disponibles.

 

Maintenir (voir augmenter) le nombre de tubes. L’artillerie française est composée aujourd’hui d'environ 358 tubes. Dont 121 canons de 155 mm, qu’ils soient tractés avec les derniers des derniers TRF1, sur chenilles pour 32 AUF1 maintenus en service jusqu’en 2025 après revalorisation (moteurs, trains de roulement, radios) ou à roues pour les 77 Caesar. Ainsi que 140 mortiers de 120 mm environ et donc les 13 blindés LRU. Dans la Loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 récemment promulguée, il est prévu que "32 canons de 155 mm de type CAESAR (Camion équipé d’un système d’artillerie) seront livrés d’ici 2025, ce qui portera leur nombre en dotation au sein de l’armée de Terre à 109". Il s’agira de progressivement remplacer les AUF1, et augmenter la cible des Caesar pour pouvoir assurer le contrat opérationnel fixé. Soit, dans le cadre d’une opération majeure avec 1 division à 2 brigades, autour de 80 Caesar déployés, en théorie. Si le choix du modèle ne semble pas être encore arrêté pour cette commande supplémentaire, certains militent pour obtenir une flotte aussi homogène que possible, sans "micro-parcs" de modèles différents à gérer en maintenance, quand bien même ce micro-parc représenterait pas moins de 30% du parc total… Avec donc une commande de la version 6x6 du Caesar (éventuellement portée à un nouveau standard type NG - Nouvelle Génération, en termes de protection et de connectivité). Et donc sans commande de la version 8x8 (dévoilée par Nexter Systems en 2015, et acquis par Danemark en mai 2017). Les gains, notamment en termes de protection (quoique avec les surblindages ajoutables, les deux versions ont quasiment le même niveau STANAG de protection), d'emport de munitions et de mobilité de la version 8x8 ne viendraient pas compenser selon eux les pertes en termes de déploiement stratégique, du fait de sa masse plus importante, rendant plus complexe son aérotransportabilité (quand le 6x6 est lui transportable dans certains modèles de C-130 en un seul fardeau, et évidemment en A400M), son emploi sur certains ouvrages d’art de type ponts, son transfert plus complexe par voies ferroviaires, etc. Le bras de chargement semi-automatique de la version 8x8 (nécessitant toujours l’utilisation d’un chargeur, pour le réglage des fusées et des charges, mais également, sur certains modèles, pour la présentation de l’obus entre les casiers et le bras de chargement) serait également vu comme ne valant pas un éventuel investissement supplémentaire (surtout que pour le 6x6 comme pour le 8x8, l’équipage reste en partie débarqué, et non protégé sous blindage, lors des opérations de tirs, donc sans révolution de ce côté). Ce chargement semi-automatique du 6x6 comme du 8x8 est considéré par contre comme un vrai plus car il permet de moins user l’entrée de la chambre des canons. Contrairement aux pièces à chargement manuel (comme sur les M777, par exemple), chaque obus est poussé selon un angle bien précis et similaire, avec une combustion qui est toujours la même, et qui vient donc moins user la chambre. Enfin, la commande d’une grosse centaine de mortiers de 60mm actuellement en cours est hors cadre, puisque surtout destinée aux unités spéciales ou spécialisées des forces spéciales Terre (BFST), de certaines unités de la brigade de renseignement, de certaines unités de la force maritime des fusiliers marins et commandos (FORFUSCO), et potentiellement d'unités commandos CPA de l’armée de l’Air.

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Régénérer le potentiel. En plus du nombre de tubes, la question est celle de la régénération des matériels actuellement disponibles, avec des grandes visites industrielles qui approchent pour les actuels Caesar, et le changement de certains ensembles critiques (qui nécessiteront un niveau de soutien industriel bien calibré pour fournir en quantité pièces, tubes et ensembles, selon les besoins). L’intensité des opérations au Levant n’a fait qu’amplifier le taux d’usure déjà élevé des Caesar, avec plusieurs chiffres circulant : 27 à 28 Caesar sur la flotte de 77 qui nécessiteraient des "opérations de maintenance lourdes" (notamment le changement de canons, opérations relativement communes, mais pas seulement) pour pouvoir être à nouveau opérationnels. Cela fait reposer la charge des opérations sur une flotte plus réduite, qui s’use donc à son tour plus vite. Aujourd'hui, entre opérations extérieures et forces prépositionnées, il y a au moins 2 Caesar déployés en Côte d’Ivoire, 2 au Sahel, 4 aux Emirats Arabes Unis, et 4 à 3 au Levant - sans compter les 2 à 3 systèmes en "spares". En théorie, le canon du Caesar est donné pour 1.000 coups pondérés (1 tir à 10km en charge 1 n’use pas autant qu’un coup en charge 6 à 30km ou plus, surtout en cas de hautes températures…), avant de devoir être changé. Durant le mandat du GTA de l’Orient, aucun canon n’a été poussé jusqu’à un tel niveau, et aucune gêne liée à l’usure n’a été ressentie. La prise en compte de l’usure d’un tube, et les corrections nécessaires, étant dans l’ADN de l’artilleur. Durant ce mandat, 3 canons ont été poussés jusqu’à 600 coups pondérés, avant que, par principe de précaution, il fût demandé de les rapatrier en France, sans possibilité d’aller jusqu’à leur limite prévue. Hélas, diront certains. Au mandat précédent, un tube est allé jusqu’à plus de 1.128 obus (certains tirés avec des charges peu fortes, donc avec une forte pondération de son usure). Au final, à chaque mandat, les tubes sont changés au moins une fois, par précaution. D’autant plus que les normes d’usure des Caesar, jugées comme prudentes, ont été calculées principalement par extrapolation des données connues sur les canons AUF1 (ceux des TRF1, moins précis et portant moins loin, en 39 calibres, étant eux donnés pour 3.000 coups). La régénération du potentiel de l'artillerie passe aussi par le maintien des compétences, et indirectement par la gestion des stocks de munitions, alors que ces derniers ont été fortement attaquées. En plus du fait que ceux des obus restants en 39 calibres ont été quasiment finis par ces opérations au Levant. Ainsi, les objectifs des normes quantitatives d’activité annuelle (hors simulation) pour des forces aptes à être engagées en missions opérationnelles sont de 110 coups tirés par équipage Caesar par an, niveau non atteint actuellement (en partie du fait d’une disponibilité réduite des systèmes, entre la douzaine de Caesar déployée, les 27 usées, et les 50% restants servant à la fois à l'instruction et l'entraînement). Le sous-financement chronique jusqu’alors des AOA ("autres opérations d’armement"), dont 1/3 servent pour l’acquisition de munitions, est théoriquement pris en compte dans la nouvelle LPM. L’armée de Terre faisait savoir il y a quelques mois qu’en moyenne seulement 36% du besoin d’achats de munitions étaient couverts lors des budgets des 5 dernières années (dont pour les munitions d’artillerie, notamment les fusées, mais aussi les autres calibres). L’effort mis sur la catégorie des AOA dans la nouvelle LPM doit permettre de mettre fin théoriquement à la sous-budgétisation. Le dernier point de vigilance soulevé par plusieurs sources est celui du bon dimensionnement des stocks initiaux de munitions lors de l’entrée en service de nouveaux systèmes (voir ci-dessous). 

 

Passer rapidement d’une artillerie de probabilité à une artillerie de précision. Aujourd’hui, l’artillerie française ne dispose pas d’obus de précision (se reposant uniquement sur les capacités des roquettes M31 de LRU ayant un guidage inertiel recalé par GPS, permettant donc de résister au brouillage, avec un écart circulaire probable (ECP) entre 2 et 5 mètres). Elle reste donc une artillerie de probabilité (soit "un nombre d’obus par salve qui tombera dans un rectangle anticipé"). L’acquisition de cette capacité de précision est une priorité vues les conditions d’emploi de l’artillerie aujourd’hui, à la fois en milieu urbain, au milieu des populations, au contact des forces amies, etc. L’offre technologique existe, autour par exemple de la munition type KATANA, anciennement Menhir. Cette première génération de la famille de munitions doit avoir une portée de 30km et une portée envisagée pour la suivante de 6 km (via des ailettes, la réduction de la trainée de culot, etc.). Le guidage est assurée par un système hybride entre un récepteur de signaux GPS et une unité de mesures inertielles pour assurer le recalage. La précision métrique (CEP réduit annoncé au final autour de 2 mètres) sera ultérieurement accessible par l’ajout d’un écartomètre semi-actif laser optionnel. Les premiers tirs de développement ont été réalisés avec succès, selon Nexter Munitions. Autre question, celle de la précision tout en conservant si besoin une capacité de destruction suffisante. Ainsi, la roquette M31 emporte autour de 90 kg de charge militaire à éclats (avec différents modes : impact, proximétrie, à retard, etc.). Certains évoquent quant à eux le développement nécessaire d’une roquette à haute capacité de destruction, en cas d’indisponibilité de moyens aériens, par exemple, avec une portée de 50km et 250kg d’explosifs. Enfin, les obus BONUS, non utilisés en Irak, peuvent eux être efficaces contre l’artillerie blindée, avec son fort pouvoir de pénétration via son système de charges et de déclenchement, et pourraient gagner à terme encore en précision. Le défi général est l'atteinte du guidage submétrique et des charges optimisées, pour une utilisation en zone urbaine ou auprès de troupes amies au contact (dotés ou non de systèmes de Blue Force Tracking…). Le mix des effets doit ainsi être a minima conservé, au mieux amélioré du surfacique à l’ultra précision, en moyenne et longue portée. Les munitions du Caesar restent aujourd'hui plutôt pour un terrain ouvert ou semi ouvert, mais non pour de la zone urbaine dense nécessitant de la haute précision, d’où l’action des GTA français uniquement en périphérie et non au cœur de Mossoul. Les militaires américains se sont refusés à l’emploi des Caesar au cœur de la ville, et plus généralement des obus non guidés - hormis en contre-batterie, en cas de menace imminente contre des forces amies ou partenaires. A l'inverse, les obus américains Excalibur (10m maximum en moyenne de précision), non qualifiés sur Caesar, ou ceux dotés du kit de guidage de précision type PGK ont été des plus-values largement utilisés à Mossoul par les artilleurs américains. Le débat à ce sujet sur les coûts des obus de précision peut rapidement tourner au faux débat, selon certains, ou à un débat trop caricatural (l'emploi exclusif de munitions guidées se révélant vite insurmontable financièrement). Ainsi, il n’est pas plus cher de tirer 1 obus avec une fusée de précision à 70.000€ pièce environ que plusieurs obus moins précis, à 3.000€ ou 6.000€ pièce, avec pour 24 obus tirés (soit 72.000 à 144.000€ la salve), une probabilité moyenne d’en mettre 3 pile en cible.

 

Réussir l’étape 2 du programme Scorpion. Le programme Scorpion étape 2, soit post 2025, n’est pas sans enjeux pour l’artillerie, avec l’élargissement attendu des capacités du groupement tactique interarmes (GTIA), notamment autour des drones, du renforcement de l’interactivité entre les pions de combat (dont les armes dites de mêlée et d'appui), de l’emploi de systèmes vers du tir "au-delà de la vue directe" (derrière la ligne de crête, la lisière ou le bâtiment), notamment en renforçant le combat collaboratif / l’infovalorisation entre le capteur/senseur et l’effecteur. Il s’agit donc de préparer aujourd’hui les programmes futurs de la décennie 2030, notamment avec les crédits de R&T terrestre (aujourd’hui autour de (seulement ?) 60 millions d’€ par an, demain vers 100 millions d'€ ?) pour remplacer notamment le système Caesar (et potentiellement aussi le LRU), via le programme CIFS (Common indirect fire system). Ce système d’artillerie du futur (sous blindage ? tirant des obus mais pas seulement ? ayant une version avec pilotage déporté ?avec l'apport des armes à énergie dirigée ?) pouvant également remplacer le Panzerhaubitze 2000 (PZH 2000) allemand. Des premières études sont attendues avant 2025 pour initialiser le programme, en coopération avec l’Allemagne, au moins dans un premier temps, d’autres partenaires pouvant s'y joindre après. Le 19 juin 2018, lors du sommet franco-allemand, une lettre d’intention a été signée en ce sens entre les ministres de la Défense des deux pays, avec mention du programme. De plus, des programmes sont cités pour un lancement en 2019, via la nouvelle feuille de route intégrée entre DGA, forces et industriels, pour des programmes plus réactifs.  C'est le cas du programme type MEPAC (Mortier embarqué pour l’appui au contact), une cinquantaine de véhicules Griffon avec un mortier embarqué rayé de 120 mm (comme le 2R2M pour Rifled, Recoiled, Mounted Mortar, fabriqué par Thales, anciennement TDA Armements), pour équiper notamment l’échelon de découverte de la future force Scorpion sur une base Griffon 6x6. Les avantages attendus sont des facilités de chargement, couplées avec la future munition de mortier guidée (MGM) ayant une portée de 17 km, permettant une meilleure survivabilité (délais entrée/sortie de batterie réduits), une mobilité accrue, et une empreinte visuelle faible (avec un tube rentré dans le véhicule). Les autres projets attendus sont le programme du système futur sol-air en basse couche (SABC), remplaçant le système Mistral, la finalisation du VBMR version VOA (véhicule d’observation d’artillerie, blindé, avec tourelleau téléopéré) remplaçant la petite centaine de VAB d’observation. Il sera notamment doté d'une boule optronique, d'un illuminateur laser et d'un pointeur infra-rouge pour la désignation de cible, d'un mât d’observation et emportera un radar portable, potentiellement de type Murin pour du réglage d’artillerie jusqu’à une dizaine de kilomètres.

 

S’intégrer dans l’environnement opérationnel. Un des enjeux est également celui de la bonne coordination, notamment dans la zone des basses (et moyennes) couches de l’espace aérien où de plus en plus de mobiles amis et ennemis opèrent (drones, obus, avions, hélicoptères, etc.), et nécessitent à la fois des capacités de détection/suivi et de contrôle et de commandement (type CMD3D pour Centre de management de la Défense dans la 3ème dimension). De nouveaux systèmes radars permettront de garantir la défense sol-air d’accompagnement des troupes au contact et la coordination de la manœuvre aéroterrestre au sol et près du sol, notamment via des futurs radars de déconfliction 3D de type GM Ground Master 60 de Thales montés sur des camions type GBC ou autres, dont 5 systèmes seront livrés d’ici 2025 avec capacité "search on the move", pour l'action en mouvement (au sein d'un convoi par exemple) au sein des batteries d’acquisition et de surveillance. Avec un débat institutionnel plus structurel entre différentes composantes (l’artillerie, l’ALAT (aviation légère de l'armée de Terre), l'armée de l'Air, etc.), sur certains responsabilités. Et les traductions capacitaires qui en découleront. C'est le cas par exemple avec l'éventuel remplacement des radars Giraffe AMB de l’armée de l’Air (servis par l'Escadre Aérienne de Commandement et de Conduite Projetable, EAC2P), aujourd'hui capables de suivre une force en mouvement (via plusieurs systèmes qui se relaient), d'appuyer via ses capacités de détection, traitement, échanges (via liaison tactique) l'action face à différents types de menaces (roquettes, appareils, lents, etc.), et participer ainsi au renforcement de la défense sol-air à l’échelon du GTIA. Une défense sol-air aujourd’hui parmi les capacités par bien des aspects embryonnaires et ne couvrant pas forcément l’intégralité des menaces (des micro-drones aux drones aux vitesses de plus en plus rapides, cf. le retour d'expérience intéressant sur le sujet à Mossoul, en Anglais), nous y reviendrons. De manière, plus générale, la les moyens de communications et de C4ISR à plus grande échelle sont un enjeu majeur, notamment pour les systèmes de communication : la fin de vie du système RITA vers 2020, avec le remplacement par les systèmes ASTRIDE, pour raccorder les postes de commandement, l'urgence des moyens de communication satellitaire Syracuse et consorts (avec 2 satellites complétés par un 3ème satellite d’ici à 2030 pour répondre aux besoins croissants des flux), les moyens de communication dédiées qui doivent réussir à interagir (CONTACT, système unique SICS, Melchior, Atlas et successeur, etc.). Enfin, le guidage est également un des grands enjeux, avec l'emploi de drones pour tenir des orbites permanentes d'observation dans la durée (quand les observateurs sont exposés à un moment donné), donc avec des systèmes (stations et appareils) en nombre suffisant (qui travailleront au profit de l'artillerie, mais pas seulement), et avec les capacités idoines (notamment en termes de portée, alors que la portée des munitions augmentent). Du Patroller (système de drone tactique - SDT) qui a une portée de 200 km, voir plus avec une station relais mobile, et jusqu’à 1.000km en version SATCOM, au SMDR (système de mini-drones de reconnaissance) Spy'Ranger qui a une portée jusqu’à 30 kilomètres pour le flux de sa vidéo haute définition jusqu’à la station sol (et qui, en plus de sa boule optronique gyrostabilisée multicapteurs, disposera potentiellement un jour d'une capacité de guidage). Des drones tactiques aujourd'hui en quantité très limitée, nécessitant peut-être un doublement à terme des vecteurs et segments sols, pour ne pas craindre des difficultés à peser en coalition (avec incapacité de gérer toute la chaine de décision et de feu) ou à s’engager sur plusieurs théâtres simultanément.

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Répondre aux "nouvelles" menaces. Aujourd’hui, la contre-batterie (face aux artilleurs adverses) évolue, et ne peut plus se faire sur coordonnées fournies par des moyens de trajectographie (de peur de frapper dans le vide, du fait de la mobilité des systèmes d’artillerie ayant pu déjà bouger). Il est donc nécessaire, en plus de la trajectographie, d’envoyer des moyens d’observation, donc de ne pas la rendre immédiate, mais dynamique. Le C2 coordonne la détection, le calcul, l’envoi d’un capteur (d'où un nécessaire nombre suffisant...) et alors l’éventuelle riposte : s’il se déplace déjà, l’artillerie le détruira dès qu’il s’arrête. Les militaires britanniques parlent de "UAS slaved to shooter link". Les moyens de guerre électronique qui se diffusent nécessitent d'intégrer au bon niveau la protection des systèmes (dès les phases de conception, ce qui nécessite un effort en ressources humaines de personnels qualifiés pour suivre les programmes d'armement, nombreux), notamment pour le successeur d’ATLAS (appelé AFIA) plus robuste (avec potentiellement une plus longue portée). L’infovalorisation de SCORPION pourrait permettre d’exploiter pleinement les capacités du radar de trajectographie COBRA (avec une portée étendue à 80 km d’ici 2020 ?), qui en une dizaine de secondes est capable de déterminer le point d’impact de tirs ennemis. La nouvelle version pourra avoir de nouvelles capacités de détection de tirs de mortier ou de roquette, à plus longue portée, ou pour les drones. Avec des réflexions à mener sur la redondance et la complémentarité des capteurs et des effecteurs. en attendant, il est donc nécessaire de scanner le terrain jusqu’à une profondeur de plus en plus importante. Le drone SMDR (remplaçant du DRAC), qui a une portée de 30 km et une autonomie de 2 heures à cette distance, est actuellement un moyen qui n'est pas dédié à la contre-batterie, ses missions au contact étant nombreuses. Le nombre prévu (autour de 4 par brigade) semble ainsi largement sous-dimensionné pour lui attribuer une mission permanente de contre-batterie. Plus efficace du fait de sa portée et de son autonomie (une quinzaine d'heures), le SDT (qui remplace le SDTI arrivé au bout du bout de sa vie...) permet la permanence et la précision nécessaires. Le nombre prévu pour l’ensemble de l’armée de Terre peut sembler également insuffisant si l’on tient compte que les drones sont indispensables à la contre-batterie moderne. Mais pas seulement. Enfin, les capacités d’interception des moyens actuels de l’armée de Terre (canons CN 20 mm, MISTRAL, 12,7mm, rares systèmes anti-drones, etc.) ne semblent pas permettre une LAD (lutte anti-drones) et une C-RAM efficaces (même au sein d'une LATTA - lutte antiaérienne toutes armes - dite élargie, pour obtenir un "mur de ferraille" ou un mur de brouillage éléctronique). Dans ce cadre, par exemple, Thales et Rheinmetall travaillent sur le développement de canons plus ou moins mobiles, dont les munitions (équipées d’une fusée de proximité libérant de multiples éclats à l’explosion) permettent le traitement de cibles de petite taille et fugaces (jusqu'à 2.500m d'altitude). L’enjeu pour les industriels est de proposer des matériels capables d’assurer la protection de la force en permanence et à proximité des troupes, en bénéficiant en permanence d’une remontée de piste à jour (Recognized Air Picture) et avec un système de désignation d’objectif efficace garantissant une bonne discrimination ainsi qu’une classification et une identification sûres. Les capacités du calibre de 40mm sur les tourelles RapidFire sont également à observer (surtout, si, comme sur la vue d'artiste ci-dessus, elles sont placées sous blindage). Ainsi, au final, il s’agit de penser toute la chaine artillerie et les parties prenantes, montrant bien que, dans le cadre du combat collaboratif de demain, la révolution du "non-artilleur qui fait tirer un artilleur" est bien aujourd'hui dépassée.

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« L’artillerie en combat urbain »

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Récent tir de CAESAr dans le cadre de l’opération Chammal (Crédits : Ministère des Armées)

La pertinence des idées développées par le Colonel Fort vient d’abord du constat de départ qui pourrait être résumé comme ceci : les déluges de feu de l’artillerie moderne poussent à se retrancher dans les villes, mais pour débusquer l’ennemi retranché, la précision de l’artillerie sol-sol est la meilleure des armes. En fait, nous dit Fort, les munitions d’artillerie frappent toujours plus loin et plus fort, d’autres, même, comme les munitions surfaciques, interdites par la convention d’Oslo de 2008, ont encore une puissance supérieure (il prend l’exemple des 12 roquettes tirées par le BM-30 russe qui suffisent à raser une surface de 650 m par 650 m). Alors, face à une telle puissance de feu, la ville apporte une « protection immédiate contre l’observation et les coups, contrairement au terrain ouvert où les drones voient tout et où toute position doit faire l’objet de travaux d’aménagement et de camouflage. »

Logiquement alors, une armée attaquée cherche à rendre l’artillerie ennemie ineffective ou insuffisante en se réfugiant dans les villes. Sans même parler de boucliers humains, la ville permet de se protéger et de se dissimuler : cacher sa propre artillerie par des draps tendus entre les immeubles et faire se déplacer les hommes entre les immeubles (par des tunnels ou des trous) pour compliquer le travail de l’observateur ennemi.

L’observateur est d’ailleurs devenu la cible prioritaire des snipers de Daesh selon Fort qui en conclut que seuls les drones peuvent fournir une observation dans la profondeur et une permanence de l’observation, « pour peu que l’absence de menace sol-air le permette. » L’utilisation des drones est donc primordiale pour l’artilleur moderne, mais, en ville, celle-ci doit être dense pour porter ses fruits : « La densité se justifie par la nécessité d’observer des secteurs très réduits comme parfois la façade d’un immeuble d’où partent régulièrement des tirs. »

Effectivement, l’une des missions premières de l’artilleur est de réduire au silence l’artillerie de l’ennemie dans le sens où celle-ci fonctionne en déni de zone et cause des dégâts dans les rangs. Comme nous l’avons dit, grâce à la ville, l’adversaire peut dissimuler ses propres moyens d’artillerie alors, contre cela, Fort soumet l’idée d’un retour de l’analyse opérationnelle dans l’artillerie, « une affaire de logiciel et d’effectifs » : celle-ci permet « d’affiner encore l’observation en la ciblant sur les lieux et horaires probables« . À Mossoul, explique-t-il, des cellules de renseignement d’artillerie mises en place par l’armée américaine pour prévoir les tirs de Daesh : elles « ont par exemple constaté que les tirs de mortiers étaient certes effectués de positions différentes à chaque fois, mais que les positions étaient très proches les unes des autres. Ils ont pu en déduire qu’un stock d’obus était disposé dans une position centrale et que les tubes de mortiers ne se trouvaient qu’à peu de distance. Ainsi, il a été possible de braquer un moyen de renseignement pour surveiller le secteur et être prêt à tirer le plus rapidement possible aux heures les plus probables. »

Venons-en maintenant au point central du sujet : la frappe. Pour Fort, au sein de la coalition, les artilleurs français ont été pénalisés car ils ne disposaient pas de munitions guidées et que seules celles-ci ont été utilisées dans le combat urbain contre Daesh à Mossoul. Plus que pour réduire les dommages collatéraux, la munition guidée était préférée aux traditionnelles car elle offrait plus de chances de détruire l’ennemi : Fort parle d’une courte fenêtre d’opportunité lorsque le mortier de l’EI tire depuis une embrasure où, de fait, avec la durée de trajectoire réduite de l’obus guidé et le phénomène de dispersion normalement absent avec les munitions de précision, l’artilleur peut faire un coup au but avant que l’ennemi ne se soit déplacé. Si l’on utilisait une munition non-guidée, rien qu’un phénomène de dispersion de dix mètres explique Fort, reviendrait à rater l’objectif et à attendre une nouvelle opportunité. Bref, le message du Colonel est on ne peut plus clair : « Les munitions guidées de 155mm sont indispensables pour l’artillerie française et il est urgent d’en acquérir. »

Si l’artillerie française a eu son rôle dans toutes les opérations où elle fut engagée au cours de Chammal, ses tirs en environnement urbain se sont limités aux tirs de semonce pour provoquer l’artillerie de l’EI (qui était alors repérée puis frappée par les obus américains) en agglomération, ce dont l’armée française ne pourrait pas se permettre si elle devait un jour, seule, prendre une ville à l’ennemie.

Même si la France s’affranchissait de toutes règles d’engagement et décidait de raser des immeubles sans se soucier des civils et des stocks de munitions, il resterait le problème des hommes au contact. Pour rappel, et nous en avons déjà discuté sur le FOB, les CAESAr français ont longuement appuyé l’infanterie irakienne lors des offensives contre l’EI, somme toute avec de bon résultats malgré des systèmes de communication différents entre les forces et l’absence de Blue Force Tracking chez les Irakiens, obligeant les artilleurs à tirer au-delà des lignes de coordination. Mais, à l’avenir, si des fantassins français étaient au contact de l’ennemi jusque dans les rues d’une ville, les munitions guidées seront tout bonnement indispensables. Pour effectuer des tirs de voisinage, le phénomène de dispersion des obus ne sera pas acceptable pour appuyer l’infanterie. Surtout que, d’après Fort, dans un contexte compartimenté, dans de nombreuses situations, certaines armes d’appui direct comme le MMP ne pourront pas être utilisées, appelant l’appui indirect de l’artillerie à jouer un rôle prépondérant. Pour Fort, il est clairement impensable qu’un obus explose dans une rue alors que l’objectif se trouve un toit et inversement, de même que la présence probable de civils demandera plus de précaution pour les artilleurs, et donc de précision.

C’est pour cette raison que Nexter Munitions développe aujourd’hui sa munition KATANA (ici http://www.nexter-group.fr/fr/presse-et-evenements/801-plus-loin-plus-precis-lobus-guide-de-155mm-katana-de-nexter-sera-la-future-munition-des-artilleurs-et icihttp://forcesoperations.com/nexter-munitions-donne-des-ailes-au-caesar/) pour répondre aux besoins de l’artillerie française. Bien que le Colonel n’aborde pas les récents développements français, ceux-ci sont absolument nécessaires pour remporter la bataille en milieu urbain. À la fin de son développement, il contrebalance quelque peu son propos sur le rôle joué par l’obus guidé lors de la bataille de Mossoul et appelle à bien analyser le RETEX de Mossoul.

Pour résumer ses derniers points, il faut comprendre, premièrement, que la lutte contre l’EI n’est pas une guerre contre un ennemi disposant et de moyens d’artillerie conséquents (agissant en contre-batterie), et d’une solide défense sol-air (empêchant l’appui aérien).

Deuxièmement, bien que l’obus de précision soit une arme d’avenir, apportant un gain d’efficacité avec une réduction des dommages collatéraux, il ne faudra pas se reposer uniquement sur ses atouts : il y aura la question du coût d’une telle munition et de la réduction rapide des stocks, ce qui a été rapidement vu pour les artilleurs américains; également, il ne faut pas croire qu’une précision accrue suffira à sauvegarder les villes, à Mossoul, les combattants de l’EI transformant systématiquement un immeuble en fortin, la destruction systématique de celui-ci entraine logiquement des dégâts considérables pour les infrastructures urbaines; enfin, l’action de l’artillerie irakienne a elle aussi été considérable alors qu’elle n’était pas en mesure de suivre les mêmes règles d’engagement que la coalition.

Enfin, lorsque Fort compare les avantages et inconvénients du support aérien et de l’artillerie en milieu urbain, il conclue que certaines missions aériennes pourraient être remplies par l’artillerie si celle-ci disposait de roquettes guidées à fort pouvoir de destruction. Dans le cadre de la « cratérisation » d’une zone par exemple, effectuée par l’aviation, exposant les pilotes, surtout face à un ennemi conventionnel, des roquettes « d’une portée d’environ 50 kilomètres et contenant environ 250 kg d’explosifs » pourraient remplir le rôle des bombes aériennes. En l’absence de telles roquettes pour les forces terrestres, insiste le Colonel Fort, « les forces occidentales seraient impuissantes à conquérir une ville de même taille face à un ennemi disposant de puissants moyens sol-air. Le seul recours serait alors une consommation considérable en munitions de calibre inférieur ainsi qu’un engagement massif de troupes de mêlée, avec les conséquences prévisibles en pertes humaines. »

Si l’artillerie est bien de retour sur le champ de bataille, il ne reste plus qu’aux munitions de terminer leur (r)évolution technologique, les batailles urbaines appelées à se multiplier, la précision sera la clé de la victoire.

* « Officier d’artillerie, le Colonel Olivier FORT a servi dans trois spécialités de l’artillerie sol-sol aux 12e RA, 93e RAM et 35e RAP. Il a été affecté à deux reprises dans l’armée de terre britannique, à l’École d’artillerie puis à l’Army HQ. Il a également effectué deux séjours à la DEP artillerie qu’il commande depuis 2016. Il a servi au CDEF où il a rédigé le RETEX des opérations en Afghanistan. Il a participé à des opérations extérieures au Kosovo, en Bosnie et en Afghanistan. Il est l’auteur d’un livre, «L’artillerie des stratagèmes», paru en 2016, qui met en valeur des tactiques de déception des appuis de l’artillerie et des forces aériennes. »

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Ya Rab Yeshua.

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  • 4 mois plus tard...

2 288 missions de tirs pour la TF Wagram et un récent tir de quatre obus "Bonus"

http://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/archive/2018/12/07/2 288-missions-de-tirs-pour-la-tfwagram-et-un-tir-de-quatre-obus-bonus.html

Depuis le début de son engagement en Irak, la Task Force Wagram a réalisé 2 288 missions de tirs.

Entre le 28 novembre et le 5 décembre, elle a réalisé 61 missions de tir (24 d'éclairement, 37 de destruction) dans la région d’Hajine. Cette ville est située dans la province de Deir Ezzor, sur la rive orientale du fleuve Euphrate.

Comme l'a annoncé l'EMA, jeudi, "au cours de cette période ont été employés, pour la première fois en opération, les obus Bonus, qui sont des munitions antichars à effet dirigé, de précision métrique. Chaque obus Bonus dispose de deux charges militaires, ce qui permet de détruire deux véhicules blindés avec une seule munition."

Le 3 décembre, une colonne de véhicules de Daech a été détectée; la TF Wagram a alors reçu l’ordre de lui barrer la route. Après un premier tir de barrage, Daech a contourné la zone et relancé son action. Ordre a alors été donné à Wagram de détruire la colonne. Quatre obus Bonus ont permis la neutralisation de huit véhicules.

L'obus Bonus (pour "BOfors NUtating Shell") ou obus ACED (Anti-Char à Effet Dirigé) est produit par Nexter et Bofors dans le cadre d'un programme d'une valeur initiale de 40 millions d'euros.

C'est un obus de 155 mm destiné à détruire des chars ennemis. Selon Nexter, "ses deux têtes militaires intelligentes à attaque par le toit détruisent tous les blindés du champ de bataille moderne. Parfaitement interopérable, Bonus peut être tiré par tous les systèmes d’artillerie actuels et futurs conformes au standard JB MoU inclus 52 calibres, ainsi que par les autres systèmes avec les charges propulsives des matériels respectifs."

Par ailleurs, et toujours selon l'EMA, Wagram dispose de la nouvelle station météo baptisée SEPHIRA (Station d’Elaboration de Profils atmospHérIques et Radiosondage pour l’Artillerie) qui remplace le système Sirocco. Sephira permet de transmettre aux pièces d’artillerie les éléments atmosphériques influant sur la trajectoire des obus : force et direction du vent, température, taux d’humidité ou encore pression atmosphérique.

PS. L'obus BONUS c'est comme la valise RTL = quand elle vous arrive dessus, on ne s'y attend pas.

BTX

Ya Rab Yeshua.

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