Je retombe sur ce fil et apporte mon témoignage.
Né en 1979, j'ai donc passé mon enfance dans un contexte de guerre froide. En tant que gosse, j'ai découvert par la télé les choses de la vie que des parents inertes n'ont pas fait passer dans un monde certes changeant. C'est le cas avec la musique classique présentée comme musique de film ou de publicité (le générique du dessin annimé est en fait du Bach, je le saurai bien plus tard) avec mon hétérosexualité découverte par les playmates du Collarococobuyshow mais aussi du rapport à la mort avec les conflits réels ou potentiels présentés par PPDA. Je ne pense pas être le seul de ma génération sans éducation parentale.
J'envisageais avec angoisse mon intégration dans le monde. Le monde des adultes avait été touché par la crise, tout évoluait trop vite. J'avais, comme beaucoup de copains de classe, une gigantesque appréhension sur l'adulte que je serai. Relations avec les femmes, avec le pouvoir, avec la mort, avec mon corps.
Et il y avait l'appréhension envers le service. Le fait de servir, bien intégré et bien dimensionné, la possibilité de mourir, les portraits des héros de la seconde guerre mondiale, mais aussi l'ennui des casernes et la blague de la savonnette. Le fait aussi que ma vie par elle-même avait une valeur, et que je n'étais pas un consommateur / écolier / élément négligeable. Sans avoir porté l'uniforme, j'avais déjà une représentation mentale du monde militaire.
Arriva la réalité. Le Président de la République a suspendu le service. Devant la télé, je faisais vite le calcul d'un an de vie civile gagnée. Du fait que ma vie ne sera pas interrompue par la caserne. Et je faisais aussi le regret de ne pas passer devant cette affirmation de ma citoyenneté comme de ma virilité.
J'ai reçu un peu plus tard un courrier d'un officier supérieur me confirmant cette suspension. Un peu un sec "on reste en contact". C'était le troisième courrier que les pouvoirs publics m'envoyaient dans ma vie, après une consultation Balladur en 1994 et un livret sur le bicentenaire de 1789 avec Mitterrand. J'étais un citoyen.
Cette suspension, surprise et inattendue, ne m'a pas fait lâcher le goût d'être réserviste plus tard.
Le service militaire, mais aussi simplement universel, impacte un univers mental sur nos vingt premières années. Et je ne sais pas ce que la nouvelle génération pourra y voir, de façon très personnelle.