Sale affaire à la Légion
Sale affaire à la Légion
Armées. Pourquoi un lieutenant saint-cyrien a été en prison à la Santé ?
Un entraînement qui tourne mal dans un régiment d’élite. Des fautes individuelles et collectives. Le juge parle de “tortures” et de “barbarie”. Un gâchis.
Le lieutenant X, 26 ans, du 2e régiment étranger de parachutistes (2e Rep) de Calvi, est en prison à la Santé depuis le 5 décembre, sur la saisine de Florence Michon, juge d’instruction au Tribunal aux armées de Paris. Il a été mis en examen pour “actes de torture et de barbarie ayant entraîné la mort sans intention de la donner”. Explication du colonel Benoît Royal, chef du service d’information de l’armée de terre : « Les faits qui sont reprochés au lieutenant X sont très graves. Il a enfreint les règlements et bafoué tous les principes éthiques que nous apprenons à nos jeunes officiers. Il y a eu mort d’homme. »
Le 5 mai dernier, Jozef Tvarusko, 25 ans, un légionnaire slovaque de sa section, décédait lors d’un exercice à Djibouti. À première vue, cette affaire pourrait laisser croire qu’un brillant saint-cyrien peut devenir un tortionnaire, qu’un régiment d’élite abriterait des barbares, que ni Saint-Cyr, ni le commandement de la Légion étrangère n’auraient détecté ces dangers. Le rapport de commandement et les témoignages recueillis permettent d’aller au-delà de la caricature.
Le drame se noue en deux heures, dans la fournaise de Djibouti (38 degrés, 90 % d’humidité), au sein d’une unité d’élite où l’on a l’habitude – et l’obligation – de se surpasser. Au deuxième jour d’un exercice, la section X a fait halte pendant une heure. Les hommes ont mangé et bu. La progression reprend vers 14 h 30. Mille mètres plus loin, Tvarusko se plaint d’une douleur au genou. Il refuse d’avancer. Son sergent et le caporal Steanu réagissent de façon rugueuse, comme ils l’ont sans doute fait des dizaines de fois à l’entraînement. Ils le houspillent et le frappent.
Réputé simulateur, Tvarusko est « un boulet ». Il n’a pas le niveau militaire ni le niveau physique du Rep. Comment a-t-il atterri dans ce régiment d’élite et y est-il resté, malgré des sanctions répétées et cette aptitude douteuse ? Le règlement et l’éthique militaire interdisent de frapper un subordonné mais tous les gradés savent que cette méthode est parfois efficace pour remettre sur pied un soldat défaillant. « On n’est pas chez les Bisounours, témoigne un ancien du Rep. On forme des combattants de choc. On les habitue à se surpasser. »
Une décision inappropriée que le lieutenant X regrette
X arrive auprès de Tvarusko. « Il simule, mon lieutenant », lui dit le sergent, approuvé par ses caporaux. Tous le pensent. L’expertise médicale le confirmera. De fait, Tvarusko se remet en marche. Deux cents mètres plus loin, il s’effondre. Nouveaux coups. X l’admoneste. Excédé, il lui décoche un coup de pied et menace de l’abandonner sur place, sans arme et sans eau. C’est une mise en scène pour lui faire peur. Joignant le geste à la parole, X vide sa gourde et une de ses deux bouteilles. Ces gestes malheureux vont accréditer l’accusation de “tortures”.
Tvarusko repart. Le rudoiement semble avoir été efficace. Il marche 1 000 mètres. X lui fait rendre son arme mais ne donne pas formellement l’ordre de lui redonner sa bouteille d’eau. Le caporal auxiliaire sanitaire ne constate aucun symptôme de coup de chaleur imminent. Tvarusko transpire même abondamment, signe incompatible avec une déshydratation grave. À trois reprises entre 15 et 16 heures, il a réussi à s’hydrater.
À 16 heures, Tvarusko s’écarte pour aller boire. Revenu sur lui, Steanu lui arrache la bouteille et le frappe. X aussi. Il décoche à Tvarusko un coup de poing au menton (l’autopsie n’a montré aucune trace) et la marche reprend. Quelques minutes plus tard, Tvarusko perd connaissance : arrêt cardio-respiratoire. Sa température interne atteint 43,7°. Malgré les soins d’urgence, c’est fini. De quoi le légionnaire est-il mort ? En aucun cas de coups ni de déshydratation. Le médecin légiste parle d’une hémorragie digestive (qui aurait pu être provoquée par un foudroyant ulcère de stress), alors que le médecin capitaine avait diagnostiqué « un coup de chaleur grave d’emblée ».
X s’est laissé submerger par la violence. Il le reconnaît. Brillamment sorti de Saint-Cyr en juillet 2006, ce jeune officier a été dépassé. Il avait sans doute trop idéalisé ce 2e Rep dont il rêvait et mal compris les traditions internes souvent ritualisées à la lettre, oublieuses de l’esprit. Comme d’autres, il a souffert de l’absence de transmission de “savoir être” entre jeunes et anciens. Le style de son capitaine l’a dérouté : « Tout à sa mission, pas assez à ses hommes. »
Affecté en octobre 2007 au 2e Rep, X a manqué de cette indispensable formation humaine pour faire face à la situation. Djibouti, qu’il découvre au début mars, est sa première mission extérieure. L’exercice de début mai est sa première sortie dans le désert. Par malchance, son SOA, le sous-officier adjoint, n’est pas là. L’absence de cet adjudant-chef a sans doute précipité le drame.
Le SOA est un ancien. Son expérience et sa légitimité lui auraient permis de gérer cette violence. Il l’a souligné lors de son audition. L’enquête de commandement aussi : « Le lieutenant n’a pu bénéficier de l’expérience d’un cadre expérimenté et s’appuyer sur ses conseils. Il convient à l’avenir de rendre impérative lors d’activités terrain la présence du SOA lorsque le chef de section est un jeune lieutenant sortant d’école. » Ce 5 mai, X est seul. La brutalité de ses gradés lui paraît normale. Ces méthodes rugueuses n’ont-elles pas forgé toutes les unités d’élite ?
L’affaire est délicate pour la Légion : son fleuron est éclaboussé, un de ses lieutenants est en prison, un sergent et deux caporaux ont été renvoyés de l’armée. Pour l’instant hors de cause, le capitaine pourrait voir sa carrière abrégée. Pour le chef de l’État aussi, la gestion est sensible car la radiation de X est de sa responsabilité. Dans les armées, l’accusation de “tortures” et de “barbarie” indigne. La mise en détention révolte. L’attitude de l’institution à l’égard de X est sévèrement jugée : « Un lâchage éhonté ! » Des jeunes officiers ne cachent pas leur colère et leur inquiétude.
La décision de Nicolas Sarkozy sera scrutée à la loupe. Beaucoup estiment que la radiation immédiate du lieutenant le condamnerait d’emblée, sans circonstance atténuante. Le maintenir dans les cadres pour qu’il puisse démissionner permettrait au contraire de régler le problème au mieux pour l’institution et de préserver son honneur.
Calme, X veut assumer toutes ses responsabilités. Il portera toujours sur la conscience la mort de son légionnaire et il sait que son rêve de consacrer sa vie au service de son pays est brisé. Faut-il pour autant en faire un tortionnaire et l’envoyer aux assises ? Ce mercredi matin, ses avocats, Mes Alexandre Varaut et Pierre-Olivier Lambert, devaient rencontrer le juge pour une audience de référé-liberté. (Note de Novopress: le référé-liberté a étét rejeté aujourd’hui.)
Frédéric Pons
(Source: www.valeursactuelles.com)