Aller au contenu
Aumilitaire
  • Rejoignez Aumilitaire

    Inscrivez vous aujourd'hui et recevez le guide gratuit Aumilitaire

     

« Entre 14 et 18, Allemands et Alliés se sont livrés une guerre


Messages recommandés

bactériologique »

Dans l’ouvrage La France espionne le monde, 1914-1919 (Economica, 374 p., 29 euros), le journaliste Jean-Claude Delhez expose des documents issus des activités du « chiffre » français, chargé de décrypter les communications ennemies. Ils l’ont conduit à mettre au jour l’existence d’une guerre biologique.

Dans votre livre, vous expliquez comment les belligérants, en particulier l’Allemagne, ont, durant la première guerre mondiale, inoculé des maladies infectieuses aux animaux utilisés par leurs adversaires. Comment ont-ils procédé ?

Il existait au sein de l’état-major allemand une « section politique », équivalent du « service action » dans les services secrets actuels, qui avait trois missions : la subversion politique (par exemple, soulever l’Irlande contre les Britanniques), le sabotage (des chemins de fer, des ports, des usines), et la guerre biologique. Pour cette dernière, des bactéries, essentiellement de la maladie du charbon (anthrax) et de la morve – deux maladies infectieuses mortelles pour les animaux –, sont produites dans un laboratoire de maladie tropicale à Berlin, puis transportées ou envoyées à des agents chargés de contaminer les animaux chez l’ennemi ou chez les neutres qui le fournissent, dans les élevages et les ports d’embarquement. Par exemple, des morceaux de sucre renfermaient une ampoule en verre remplie de liquide de culture bactérienne, qui se brisait quand l’animal le croquait. De telles actions ont été menées en France, en Roumanie, mais aussi aux Etats-Unis, en Amérique du Sud, en Espagne, au Portugal, en Scandinavie…

Comme il devenait de plus en plus difficile d’envoyer ces « colis » par la poste ou par les transports officiels – a fortiori dans les pays ennemis –, la production a été décentralisée. Un laboratoire est créé en 1915 dans la banlieue de Washington, dirigé par un citoyen américain d’origine allemande. Le 21 juin 1916, un sous-marin allemand débarque à Carthagène (Espagne), un agent, Hermann Wuppermann (dit « Arnold »), y apporte des fioles. Un laboratoire, situé à l’hôpital allemand de Madrid, les cultive sous la direction d’un médecin spécialiste de médecine tropicale, le professeur Friedrich K. Kleine, ancien adjoint du professeur Robert Koch, le « découvreur » de la tuberculose, qui succédera à ce dernier, de 1933 à 1945, à la direction de l’Institut Koch à Berlin. Wuppermann, lui, est ensuite chargé de mener ces opérations en Amérique du Sud. Un dernier télégramme lui est envoyé de Berlin avec de l’argent, peu avant l’armistice de 1918, lui ordonnant de ne pas revenir en Europe… et l’on perd sa trace.

Et c’est efficace ?

Le service vétérinaire de l’armée française a comptabilisé 60 000 cas de morve chez les chevaux durant toute la durée de la guerre, mais il est impossible de déterminer quelle est la part de l’origine naturelle (la maladie est endémique) et celle de l’origine volontaire. On sait, en revanche, que les épidémies qui se déclarent à bord de navires de transport voguant vers les ports alliés obligent ceux-ci à faire demi-tour avec 1 500 chevaux malades vers le Portugal, ou encore 4 500 mulets vers l’Argentine.

Des humains ont-ils été visés ?

Il n’existe aucune preuve d’une contamination volontaire. Dans un télégramme de Madrid à Berlin, Kleine propose bien de répandre le choléra au Portugal, mais Berlin refuse. Après-guerre, il sera accusé d’avoir inoculé le typhus et la peste à Marseille, Toulon, Salonique et au Maroc. Mais ces maladies, qui se sont effectivement déclarées dans certains de ces endroits, peuvent avoir une origine naturelle.

Les Alliés ont-ils aussi pratiqué la guerre bactériologique ?

Oui, on trouve dans les textes allemands la trace de l’existence d’un réseau français en Suisse, dirigé par un certain Mougeot, qui infectait les chevaux allemands en dissimulant du liquide de culture dans le dentifrice des colis de la Croix-Rouge envoyés à des prisonniers français ; ceux-ci devaient contaminer les chevaux qu’ils rencontraient… Les vétérinaires militaires allemands ont relevé 30 000 cas de morve ; mais, là encore, on ne sait pas quelle est la part des origines naturelle et volontaire. En revanche, cela explique que les Français n’aient à aucun moment, pendant comme après la guerre, dénoncer les agissements allemands… puisqu’ils faisaient la même chose !

Alors comment sait-on ce qui s’est passé ?

Les Allemands ont détruit toutes les archives et les témoins ont gardé le secret. Il y a eu des soupçons et des dénonciations, mais rien d’officiel. Un biologiste allemand a bien écrit quelques lignes sur les opérations menées durant la guerre à partir des archives des affaires étrangères allemandes, mais son livre n’a pas été traduit en français. Lorsqu’un agent français se propose de publier ses Mémoires sur la grande guerre en 1936, les services lui interdisent d’en parler, car l’armée développe son propre programme bactériologique… jusque dans les années 1970. Mais le sujet de la guerre bactériologique est abondamment débattu, car tout le monde la sait possible : elle est en principe interdite par la convention de La Haye de 1907, réitérée par les traités de paix et conventions de désarmement de l’entre-deux-guerres, mais personne ne se fait d’illusions.

Pourtant, vous avez eu accès à des informations précises et détaillées, presque cent ans après les faits. Comment ?

Je suis journaliste, et historien à mes heures perdues ; j’ai écrit une vingtaine de livres sur la guerre de 14 et sur… l’histoire de la sidérurgie. Comme le Service historique de la défense (SHD), au fort de Vincennes, est ouvert à tous, et pas seulement aux historiens professionnels, j’y allais régulièrement depuis vingt ans. Il y a une dizaine d’années, j’y avais consulté l’inventaire des « fonds privés », c’est-à-dire les archives léguées par les familles des militaires, et je suis tombé sur la cote de documents venant d’un officier du « chiffre », comme on appelait à l’époque les services chargés de décrypter les messages de l’ennemi. Je me rappelais ma fascination de jeunesse pour le livre d’Anthony Cave Brown, La Guerre secrète (Pygmalion, 2000) pendant la seconde guerre mondiale, alors je l’ai noté dans un coin car ce n’était pas le sujet qui m’intéressait à ce moment. Il y a un an et demi, je suis revenu au SHD et comme j’avais un peu de temps, j’ai ouvert le carton : il y avait une liasse de messages allemands interceptés en 1914. J’ai commencé à tirer le fil, regarder les inventaires, les bibliographies, je suis retourné au SHD en 2013 d’où j’ai rapporté des milliers de photos et de documents, les messages décryptés par les services français de 1914 à 1919, que j’ai recoupés avec les archives de la défense, de la marine et du Quai d’Orsay, et avec ce qu’il reste des archives allemandes des services secrets et de la Kriegsmarine (à Fribourg).

Il y avait en France cinq services du chiffre, qui employaient des mathématiciens de haut niveau, pour « casser » les codes : deux au ministère de la guerre (un au grand quartier général (GQG), un au cabinet du ministre), un à la marine, un à l’intérieur et un aux affaires étrangères. Ce dernier, officiellement, n’existait pas, et n’était jamais mentionné ; il s’appelait le « service des travaux réservés » ; ses archives ont été détruites avant l’arrivée des Allemands en mai 1940. J’ai découvert par plusieurs recoupements que son chef, de 1914 à début 1918, était Robert Chodron de Courcel, le grand-père de Bernadette Chirac ! Téléphone, télégraphe, courrier, radiotélégrammes (on était aux tout débuts de la radiophonie) : tous ces gens écoutaient et décryptaient les Allemands, les Autrichiens, mais aussi les Alliés. C’était la NSA [l'Agence nationale de sécurité américaine] avant la lettre…

Mais pourquoi n’ont-ils pas donné l’alerte publiquement, ne serait-ce que comme arme de propagande contre les Allemands ?

Tout d’abord, chaque service n’avait qu’une partie des informations, personne ne s’est rendu véritablement compte de quoi il s’agissait. Ensuite, il n’y avait pas d’attention morale ou politique particulière portée à la guerre bactériologique : les militaires et les scientifiques allemands, par exemple, ne faisaient pas de différence entre ces actes et le sabotage « classique », et les Alliés avaient suffisamment d’arguments sur la « culpabilité » allemande pour ne pas utiliser celui-ci… d’autant, je le répète, que les grandes nations belligérantes avaient leurs propres projets dans le domaine bactériologique. Enfin, les Français ne voulaient pas, même après-guerre, révéler qu’ils écoutaient les communications…

http://www.lemonde.fr/sciences/article/2014/06/02/entre-1914-et-1918-allemands-et-allies-se-sont-livres-une-guerre-bacteriologique_4430494_1650684.html

Modifié par Wasan
Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

La morve, réelle catastrophe pour qui en est atteint, concerne plus volontiers les équidés que les humains en même temps que, dans la première catégorie, elle vise plus électivement les ânes et mules que les chevaux, ce qui en effet lui donne tout son "intérêt" à une époque où les moyens de transport étaient encore peu motorisés.

Même s'il est incontestable que des contaminations intentionnelles ont eu lieu, il est difficile de connaître leur part, puisque la morve se développe plus volontiers chez l'équidé blessé et dans des conditions d'hygiène et d'alimentation déficientes, la guerre en étant donc un bon "client".

Le plus souvent mortelles tant pour l'homme qui les contracteraient que pour les équidés, et n'existant ni vaccin ni traitement efficace, la morve et la mélioïdose restent classées comme agents bioterroristes bien que peu efficaces, puisque la contamination inter-humaine est très exceptionnelle et que l'on ne peut donc "compter" que sur l'aérosolisation directe pour répandre volontairement ces maladies.

Comme quoi toutes les "sciences" ont largement progressé, y compris celle-là où les "pauvres" font maintenant plus volontiers appel au charbon, et ceux qui le sont moins à des neurotoxines ou, plus rarement, à des mycotoxines ou radio-isotopes.

Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

  • 2 semaines plus tard...

© Aumilitaire - Contact - CGU

×
×
  • Créer...